“Le point du jour” de Mercin et Vaux
La famille Fontaine
UNE FAMILLE BOURGEOISE
Un héritier
Arthur
Fontaine
naquit
à
Paris.
Entre
la
rue
Saint-Honoré
et
la
rue
de
Richelieu,
ou,
si
l’on
préfère,
entre
les
Tuileries,
la
Place
Vendôme
et
le
Palais-Royal,
il
y
avait
sous
le
Second
Empire
une
petite
rue
aujourd’hui
débaptisée
:
la
rue
de
la
fontaine
Molière.
En
1860,
le
père
de
Arthur.
Fontaine
,
Joseph
Fontaine,
et
son
cousin
germain
François
Fontaine,
associés
dans
les
affaires,
y
travaillaient
et
y
résidaient
avec
leurs
familles.
Arthur
y
naquit
le
3
novembre
1860.
Son
père
avait
trente
sept
ans,
sa
mère
Lucille
Ferté
trente.
Le
cousin
François
qui
avait
quarante
trois ans, fut le témoin de la naissance à la mairie du 1
er
arr., en compagnie du teinturier-blanchisseur de la famille.
Une
fois
la
naissance
acquise
et
déclarée,
le
baptême
était
pour
cette
famille
bourgeoise
catholique
la
chose
importante.
Il
eut
lieu
à
la
paroisse
Saint-Roch
un
mois
après,
le
temps
de
permettre
à
la
famille
Fontaine
de
province
de
prendre
ses
dispositions.
Aussi
la
vigueur
des
liens
de
parenté
pouvait-elle
s’attester
par
le
nombre
et
la
qualité
des
signatures
du
registre
des
baptêmes.
Six
signatures
attestent
pour
Arthur,
l’épaisseur
et
la
solidité
de
son
environnement
familial.
Tout
d’abord
celle
de
Victor
Fontaine,
oncle
et
parrain,
gros
cultivateur
propriétaire
dans
l’Aisne,
près
de
Fismes
dans
la
Marne.
Il
donna
son
prénom
à
l’enfant
(Victor)
Arthur
(Léon)
Fontaine.
Signa
également
la
marraine,
épouse
du
cousin
François
de
Paris.
On
note
ensuite
celles
des
grands-parents
paternels,
gros
cultivateurs
propriétaires
retirés
à
Fismes,
et
enfin
celle
de
Henri
Fontaine,
le
frère
aîné
d’Arthur,
âgé
de
dix
ans
seulement,
que
l’on
initiait
ainsi
à
ses
droits
et
devoirs
d’aîné.
Arthur
naquit
donc
dans
une
famille
bourgeoise
parisienne
de
négociants
catholiques
aux
racines
rurales
proches.
C’était
un
héritier.
On
ne
sait
pratiquement
rien
sur
son
enfance.
Conformément
à
une
vieille
tradition
de
la
bourgeoisie
parisienne,
faute
notamment
d’espace
propre
aux
enfants
dans
les
appartements
bourgeois.
Arthur
fut
très
vraisemblablement
mis
en
nourrice
dans
le
Soissonais,
comme
ses
frères
et
sœurs,
dans
la
maison
familiale
de
Mercin.
Durant
son
enfance
passée
tôt
en
pension,
il
allait
dès
que
possible
au
bon
air
avec
ses
frères
et
sœurs
dans
la
propriété
familiale.
Il
y
passa,
semble-t-il,
la
plupart
de
ses
vacances
scolaires.
Ce
fut
sans
doute
à
demeure,
par
un
précepteur
chargé
d’instruire
toute
la
fratrie,
qu’il
apprit
à
lire
et
à
écrire.
Les
excellentes
notes
obtenues
par
lui
en
allemand
laissent
deviner
qu’il
eut
vraisemblablement
dans
son
enfance
une
fraulein
alsacienne ou allemande recrutée à Paris dans un bureau spécialisé.
La Société Fontaine
En
1847,
Joseph
(le
père
d’Arthur
Fontaine)
et
son
cousin
germain
François
avaient
quitté
ensemble
le
Soissonais.
Ils
avaient
été
dotés
par
leurs
parents
respectifs
d’un
capital
égal
leur
permettant
de
créer
ensemble
une
société
en
nom
collectif
leur
permettant
d’acheter
un
fonds
de
commerce
en
quincaillerie
de
détail
pour
le
bâtiment.
L’affaire
avait
été
fondée
en
1740
(par
Monsieur
Lavollée).
Située
d’abord
rue
Saint-
Honoré,
elle
était
maintenant
installée
rue
de
la
fontaine
Molière
au
rez-de-chaussée
d’un
immeuble
loué
dans
lequel
ils
habitaient
dans
les
étages
supérieurs.
Les
affaires
prospérèrent
beaucoup
dans
la
vente
de
tous
les
objets
moulés
destinés
au
bâtiment.
Les
deux
cousins
disposaient
d’un
magasin
de
détail,
mais
ils
travaillaient
surtout
avec
les
architectes
et
entrepreneurs
dans
deux
secteurs
:
les
grands
chantiers
et
les
particuliers.
Ayant
acquis
avec
le
fonds
de
commerce
une
série
de
moules
anciens,
la
maison
fut
en
mesure
de
participer
à
la
restauration
de
châteaux,
en
particulier
celui
de
Saint-Germain-en-Laye.
Pour
les
constructions
nouvelles,
ils
faisaient
appel
à
des
artistes
contemporains
pour
confectionner
des
modèles
nouveaux.
Ils
obtinrent
ainsi
les
lots
serrurerie
d’art
des
grandes
gares
parisiennes.
Ces
divers
chantiers
étaient
profitables,
non
seulement
en
francs
mais
en
prestige.
Ils
développèrent
la
renommée
de
la
maison
dans
le
Tout
Paris,
ce
qui
permit
la
création
d’un
marché
intermédiaire
entre
la
quincaillerie
courante
et
les
grands
chantiers,
celui
des
hôtels
particuliers
en
cours
de
construction
ou
de
restauration.
Les
moules
étant
amortis,
la
reproduction
des
modèles,
en
petites
séries
vendues
à
des
prix
attractifs
à
des
bourgeois
désireux
de
se
distinguer
par
une
serrurerie
d’art,
assurait
des
marges
confortables.
Avec
ces
grands
chantiers,
c’est
cette
«
descente
en
gamme
»,
par
reproduction
d’articles
de
luxe
sans
écrasement
des
marges
en
proportion
qui
fit
rapidement
la
fortune
de
la
maison
Fontaine.
Ces
chantiers
étaient
souvent
payés
à
crédit.
Une
activité
nouvelle
se
développa
donc
rapidement
au
sein
de
la
société,
grâce
à
son
fonds
de
roulement
important
:
le
crédit
à
la
consommation,
pour
des
montants
variant
de
moins
d’un
millier
à…
soixante
mille
francs-or
.
La
prospérité
de
la
société
leur
permit
bientôt
d’acheter
pour
deux
cents
mille
francs
un
grand
immeuble
en
forme
de
H
avec
jardin
rue
Saint-Honoré,
derrière
deux
immeubles
de
rue,
dans
lequel
la
société
fut
installée.
Ils
purent
encore
acquérir
un
vaste
terrain
constructible à Passy, faubourg intra-muros encore un peu rural mais à fort potentiel, pour cent trente mille francs.
Y
eut-il
une
brouille
entre
les
deux
associés
?
Toujours
est-il
qu’en
1861,
après
quinze
ans
d’activités
communes,
François
se
retira
de
la
société,
laissant
à
son
ancien
associé
le
fonds
de
commerce
d’une
valeur
de
quatre-vingt
dix
mille
francs,
l’immeuble
évalué
désormais
à
trois
cents
vingt
mille
francs
et
la
moitié
du
terrain
de
Passy.
François,
outre
cette
moitié
de
parcelle,
partait
avec
le
portefeuille
de
créances
clients
(probablement
toutes
gagées
et
à
taux
d’intérêt
élevés)
et
le
fonds
de
roulement
de
la
société
de
deux
cents
trente
cinq
mille
francs
.
Pour
recapitaliser
la
société
et
partager
les
risques,
Joseph
fit
entrer
un
parent
de
sa
femme
et
un
associé
sans
perdre
la
majorité.
La
société
en
nom
collectif devint alors la Société Fontaine, Vaillant & Ferté. Elle continua de prospérer rapidement.
En
1867,
Joseph,
âgé
seulement
de
quarante-quatre
ans
tomba
malade
et
mourut
en
quelques
mois.
Ses
enfants
étaient
mineurs
:
l’aîné
avait
seize
ans,
Arthur
sept
et
la
cadette
un
an.
Sans
doute
était-ce
l’un
des
grands
malheurs
dont
Arthur
confiera
plus
tard
l’existence
à
son
grand
ami
Francis
Jammes
et
qui
vont
imprimer
à
son
caractère
une
tristesse
permanente.
Ce
malheur
affectif
pouvait
se
doubler
d’une
catastrophe
économique
et
d’une
dégringolade
sociale
;
il
n’en
fut
rien
:
Joseph
avait
eu
le
temps
d’organiser
les
choses
et
de
prévoir
l’avenir.
Les
deux
associés
Vaillant
et
Ferté
assumèrent
la
direction
de
la
maison
avec
succès,
comme
une
sorte
de
régence
jusqu’au
retour
d’un
Fontaine
en
la
personne
du
fils
aîné
Henri
qui
devint
associé
en
1877.
La
maison
prospérait
encore,
obtenant
le
lot
serrurerie
d’art
de
la
restauration
de
Chenonceau,
de
la
construction
de
l’Opéra
de
Paris
et
de
la
reconstruction
de
l’Hôtel
de
ville
de
Paris.
De
quoi
asseoir
la
renommée de la marque jusqu’à aujourd’hui dans la profession .
À
la
mort
de
Joseph,
le
couple,
marié
sous
le
régime
de
la
communauté,
disposait
d’une
fortune
de
près
d’un
million
et
demi
de
francs
(soit
grosso
modo
environ
20
000
fois
le
patrimoine
ouvrier
moyen),
auquel
s’ajoutait
Mercin
détenu
en
propre
par
l’épouse
(
Lucille
Ferté)
en
indivision
avec
son
frère.
Parti
en
1847
avec
un
capital
l’élevant
au-dessus
de
la
petite
bourgeoisie,
Joseph
mourait
«
millionnaire
»,
c’est-à-dire
membre
de
la
grande
bourgeoisie.
Quelques
mois
avant
sa
mort,
il
avait
écrit
un
testament
par
lequel
il
léguait
un
quart
de
sa
part
de
la
communauté
à
sa
femme
en
pleine
propriété,
et
un
autre
quart
en
usufruit.
Les
parts
dans
la
société
en
nom
collectif
se
montaient
à
huit
cents
mille
francs
;
il
possédait
également
quatre-vingt
mille
francs
d’obligations
et
d’actions
,
ainsi
que
des
créances
au
porteur
à
3
%
et
trente
mille
francs
de
créances
diverses
,
soit
un
total
de
valeurs
mobilières
de
934
000
F.
L’immeuble
de
la
rue
Saint-Honoré
était
évalué
à
637
000
F.
Il
rapportait
à
lui
seul
un
loyer
de
31
000
F
par
an,
payé
par
la
société,
son
unique
locataire.
Les
enfants
étant
mineurs,
la
mère
se
retrouva
au
décès
de
son
mari
à
la
tête
de
l’ensemble
du
patrimoine,
sous
la
surveillance
d’un
oncle
Fontaine
désigné
par
le
conseil
de
famille
pour
veiller
au
respect
des
intérêts
des
enfants.
La
veuve
disposait
de
plus
de
900
000
F
en
pleine
propriété,
auquel
s’ajoutaient
l’usufruit
de
plus
de
180
000
F
et la moitié de la propriété de
Mercin.
La fratrie
La
mère
avait
eu
six
enfants
dont
Arthur
était
le
quatrième.
Les
enfants
mineurs
recevaient
les
trois
quarts
de
la
part
de
leur
père
dont
un
tiers
de
ce
capital
en
nue-propriété.
Chaque
enfant
recevait
au
total
un
peu
plus
de
90
000
F.
Il
leur
faudrait
attendre
leur
part
de
l’héritage
de
leur
mère
pour
prétendre
entrer
de
plein
pied
dans
la
bourgeoisie
et
avoir
alors
le
choix
de
vivre
en
rentier
modestement
ou
de
travailler
pour
vivre sur un grand pied, en prenant garde dans les deux cas de bien se marier.
Le
premier
enfant,
Henri,
était
de
neuf
ans
l’aîné
d’Arthur.
Témoin
de
son
baptême,
témoin
de
son
mariage,
témoin
de
la
naissance
du
premier
fils
d’Arthur,
le
fils
aîné
assuma
tôt
ses
devoirs.
Il
ne
fit
pas
d’études
supérieures,
arrêtant
ses
études
secondaires
en
classe
de
2e
à
Stanislas,
le
grand
établissement
jésuite
de
Paris.
Il
entra
à
vingt
six
ans
comme
associé
dans
la
société
familiale,
après
des
années
d’apprentissage
des
affaires.
Il
prit
la
direction
de
la
société
en
1889
à
trente
huit
ans,
succédant
au
Vaillant
qui
avait
assuré
une
sorte
d’intérim
prolongé.
La
maison
Fontaine
comptait
quatre-vingt
salariés.
Il
créa
en
1891
à
Boulogne-sur-Seine
un
atelier
de
moulage
et
une
usine
fabriquant
avec
soixante
ouvriers
pour
cinq
cents
mille
francs
par
an
d’articles
de
bronze.
Il
acheta
la
maison
Fromentin
pour
son
fonds
d’articles
spéciaux
de
quincaillerie
courante
vendus
ensuite
sous
la
marque
Fontaine,
distincte
de
la
marque
F.T.
pour
[F]ontaine
&
Vaillan[t]
réservée
aux
articles
de
luxe.
Amené
à
fréquenter
les
sculpteurs
pour
les
inviter
à
produire
des
modèles
d’articles,
il
les
introduisit
dans
le
cercle
familial,
notamment
Rodin,
Camille
Claude
l
à
qui
il
commanda
en
1895
une
version
en
marbre
de
la
Petite
Châtelaine
,
Maillol
et
Bourdelle
avec
lequel
il
resta
lié
toute
sa
vie.
Il
fut
fait
chevalier
de
la
Légion
d’honneur
en
1900
par
Millerand,
le
ministre
de
son
frère
Arthur
qui
n’y
fut
pas
pour
rien.
La
maison
Fontaine
comptait
alors
140
salariés.
Henri
habitait
à
Garches
dans
un
hôtel
particulier
au
milieu
d’un
parc
où
l’épouse
de
Fontaine
aimait
aller
se
reposer
de
temps
en
temps
avec
les
enfants.
Naquit
ensuite
Marie
Fontaine,
un
an
après
son
frère.
Très
pratiquante
et
tournée
vers
les
autres
avant
toute
chose,
elle
travailla
de
bonne
heure
à
l’hôpital
civil
de
Versailles
où
se
confirma
sa
vocation.
Elle
entra
comme
novice
à
vingt-deux
ans
à
la
Compagnie
des
Filles
de
la
Charité
de
Saint
Vincent
de
Paul,
sortant
par-là
même
de
l’environnement
familial
d’Arthur.
Elle
prit
l’habit
l’année
suivante
à
la
Maison
de
la
Charité
d’Arcueil,
un
orphelinat
du
sud
de
Paris,
sous
le
nom
de
Sœur
Eugénie.
Elle
formula
ses
premiers
vœux
à
vingt-neuf
ans
qu’elle
renouvela
chaque
année
le
jour
de
la
fête
de
l’Annonciation.
Elle
appréciait
la
poésie
de
Francis
Jammes,
poète
catholique
ami
de
son
frère
Arthur,
avec
lequel
elle
correspondit
.
En
1907,
elle
fut
nommée
assistante
à
Arcueil,
puis
Supérieure
de
la
Maison
de
Mitry-Mory
en
Seine-et-Marne
en
1911
à
l’âge
de
cinquante-neuf
ans,
où
elle
décèdera
à
soixante-dix
huit
ans
en
1930.
Moins
encore
qu’avec
son
frère
aîné,
Arthur
n’entretint
de
relations
étroites
avec
sa
sœur,
si
ce
n’est
quelques
échanges
de
correspondances,
en
particulier
à
partir
de
1911,
Sœur
Eugénie
intervenant
auprès de son frère pour qu’il favorise l’embauche de jeunes femmes formées dans son orphelinat .
Deux
ans
avant
la
naissance
d’Arthur
naquît
Émile
Fontaine.
Après
des
études
secondaires
à
Stanislas
de
la
4e
à
la
rhétorique,
n’ayant
pas
lui
non
plus
fait
d’études
supérieures,
il
entra
à
son
tour
dans
l’entreprise
familiale
comme
associé
en
1891,
à
trente-trois
ans
seulement,
après
avoir
travaillé
treize
ans
dans
une
charge
d’agent
de
change,
puis
comme
fondé
de
pouvoir
dans
une
autre
charge,
sans
doute
celle
de
son
cousin
Vuaflart
dont
il
épousa
la
sœur.
Très
pratiquante,
cette
épouse,
Léontine,
dite
«
cousine
Tine
»,
se
lia
d’amitié
avec
l’épouse
de
Fontaine
et
ses
deux
sœurs.
Ce
groupe
de
parents
et
leurs
amis
se
fréquentèrent
assidûment
dans
les
années
1890
et
au
début
du
XXe
siècle,
notamment à
Mercin
.
Le
plus
proche
d’Arthur
était
son
frère
cadet
de
quatre
ans,
Lucien
Fontaine.
Autant
Henri
était
effacé,
introverti,
autant
Lucien
était
extraverti,
hyperactif,
agité
même,
et
un
peu
m’as-tu-vu.
Lui
non
plus
ne
fit
pas
d’études
supérieures
après
des
études
secondaires
à
Stanislas
menées
seulement
de
la
9e
à
la
5e.
Il
fut
donc
le
troisième
et
dernier
fils
à
entrer
dans
l’entreprise
familiale
où
il
s’occupa
du
développement
commercial,
de
l’international
et
de
la
diversification,
Henri
se
réservant
la
direction
générale
et
la
création
(ainsi
peut-être
que
la
production)
et
à
Émile,
semble-t-il,
la
comptabilité
et
l’administration.
Ce
fut
lui
qui
en
1889,
à
l’Exposition
universelle,
présenta
au
jury
international
un
rapport
du
groupe
de
l’économie
sociale
sur
les
caisses
de
retraites
(patronales),
montrant
l’attachement
des
frères
Fontaine
au
bien-être
de
leurs
employés.
Ils
avaient
créé
une
société
de
secours
mutuels,
la
Solidarité
F.T.
(marque
des
produits
de
luxe
de
la
société)
pour
leurs
salariés,
alimentée
par
les
versements
des
intéressés
et
des
associés
de
la
société.
Cette
œuvre
dotait
la
maison
d’un
capital
moral
dans
le
monde
parisien
des
œuvres
patronales
et
philanthropiques,
que
le
rapport
de
Lucien
officialisa.
En
1887,
à
vingt-sept
ans,
Lucien
créa
un
important
comptoir
à
Hanoï,
sous
la
raison
sociale
de
la
maison
qui
était
devenue
«
Fontaine
&
Cie
»,
filialisée
en
1893
en
une
société
anonyme
Comptoir
français
du
Tonkin
dont
Henri
fut
le
président
du
C.A..
Ce
comptoir
qui
fit
cent
mille
francs
de
chiffre
d’affaires
la
première
année,
le
multiplia
par
cinq
en
sept
ans,
en
recherchant
des
débouchés
vers
la
Chine
et
le
Laos
et
en
en
réimportant
des
articles.
En
1895,
le
comptoir
des
Fontaine
dans
le
Tonkin
transportait
une
grande
partie
du
caoutchouc
naturel
produit
dans
le
Haut
Laos
et
entrait
en
rivalité
avec
les
Anglais.
En
1898,
Lucien
et
Henri
allèrent
à
Long
Tchéou
par
Langson
à
la
frontière
chinoise
créer
un
nouveau
comptoir
pour
attirer
les
débouchés.
En
1903,
après
que
Lucien
eut
réussi
dans
la
fabrication
de
l’alcool
de
riz,
l’administration
des
douanes
et
régies
accorda
aux
Fontaine
un
quasi-monopole
sur
la
vente
au
Tonkin
et
en
Annam,
convention
étendue
à
la
Cochinchine
l’année
suivante.
Une
filiale,
la
Société
française
des
distilleries
de
l’Indochine,
fut
créée
à
cet
effet
et
devint,
selon
,
une
grande
firme
de
la
colonie
.
Lucien
fut
fait
chevalier
de
la
Légion
d’honneur
par
Trouillot,
le
ministre de son frère Arthur en 1902.
MERCIN
La
façon
de
voir
des
Fontaine
tenait
à
l’éducation
qu’ils
avaient
reçue
dans
le
milieu
de
leur
enfance,
celui
des
gros
fermiers
du
Soissonais.
Le
père
d’Arthur,
Joseph,
était
né
en
1823
dans
la
propriété
agricole
de
son
père
et
de
sa
mère
à
Blanzy-les-Fismes,
un
village
de
l’Aisne.
Il
y
avait
vécu
avec
ses
deux
frères
qui
étaient
devenus
à
leurs
tours
fermiers
et
propriétaires,
le
premier
à
Bucy-le-long
dans
les
environs,
l’autre
à
Blanzy-les-Fismes
dans
l’exploitation
paternelle.
Le
père
d’Arthur
s’était
marié
en
1850
à
Lucille
Ferté
qui
était
née
dans
les
environs
en
1828
d’un
père
gros
cultivateur
propriétaire
et
de
Thérèse
Vuaflart,
née
dans
le
canton
voisin
de
Braine,
qui
se
retira,
veuve
et
rentière,
à
Mercin
dans
une
maison
bourgeoise
qu’elle
fit
construire
au
milieu
d’un
long
terrain
qui
fut
aménagé
en
parc.
À
chercher
des
exceptions
avant
1850
dans
cette
nébuleuse
familiale
de
propriétaires
exploitants,
on
n’en
trouve
guère
que
trois
:
les
deux
frères
de
Thérèse
Vuaflart
qui
firent
des
études
supérieures,
l’un
à
Paris
où
il
tint
ensuite
une
pharmacie
rue
de
la
Tour
d’Auvergne,
l’autre
des
études
de
droit
qui
lui
permirent
de
devenir
notaire
avant
de
vivre
de
ses
rentes
à
Soissons
.
S’y
ajoutait
un
Nicolas
Fontaine,
grand-
oncle
d’Arthur,
percepteur
des
contributions.
Pour
le
reste,
cette
famille
large
était
faite
de
gros
exploitants
agricoles,
naguère
laboureurs
depuis
des
générations,
que
l’on
casait
fermier
à
l’occasion
du
mariage
et
qui,
parcelle
après
parcelle,
devenaient
propriétaires
pour
pouvoir
se
retirer
et
vivre
modestement
de
leurs
rentes
tout
en
laissant
une
succession
honorable
à
une
progéniture
nombreuse.
Dans
ces
grandes
exploitations
régnait
une
discipline
militaire.
Une
partie
des
ouvriers
était
attachée
à
la
ferme
avec
la
domesticité,
mais
la
majorité
des
bras
était
embauchée
deux
fois
par
an
aux
«
louées
»,
foires
de
main-d’œuvre
.
Ces
gros
cultivateurs,
propriétaires
et
fermiers,
détenaient
le
pouvoir
social
et
politique
dans
leurs
villages
entre
Reims
et
Soissons.
L’arrière-grand-père
paternel
d’Arthur,
Antoine
Fontaine,
avait
été
maire
de
Blanzy-les-
Fismes sous la Restauration ; Eugène Fontaine, cousin d’Arthur, était responsable du conseil de Fabrique de l’église de Bucy-le-long.
A
Mercin
la
demeure
bourgeoise,
construite
par
la
grand-mère
Vuaflart
sur
un
terrain
acheté
à
des
parents,
était
passée
à
ses
deux
enfants,
puis
le
frère
avait
cédé
ses
droits
à
sa
sœur
à
l’occasion
d’un
partage.
Là,
Arthur
était
plongé
dans
sa
famille
provinciale
et
rurale,
les
Ferté,
Vaillant,
Vuaflart
et
Fontaine,
quasi
tous
gros
propriétaires
cultivateurs,
qu’il
rencontrait
à
l’occasion
des
visites
et
des
fêtes
de
famille.
Cette
vie
était
toute
différente
de
celle
de
Paris.
À
Mercin,
se
marquait
d’autant
plus
son
appartenance
à
la
bonne
bourgeoisie
que
le
village
n’était
dominé
que
par
trois
familles
de
gros
propriétaires,
les
de
Reimpré,
les
Bonant
et
les
Fontaine,
chacune
dans
sa
maison
bourgeoise
au
milieu
d’un
parc,
non
loin
de
l’église,
au
centre
du
village.
Mais,
en
même
temps,
au
jour
le
jour,
Arthur
vivait
avec
les
enfants
de
la
nombreuse
domesticité
et
des
ouvriers
agricoles
(la
grande
majorité
de
la
population
de
Mercin
),
partageant
leurs
jeux,
parfois
sauvages
comme
«
tirer
des
chouettes
»
.
Il
pouvait
là,
sans
que
personne
n’y
trouve
à
redire,
courir
en
nage
et
«
sans
chapeau
»
sur
la
route
du
village
ou
revenir
d’une
longue
escapade
le
pantalon
déchiré.
Cette
façon
simple,
rustique,
de
se
mêler
au
peuple
sans
nécessairement
«
tenir
son
rang
»,
de
partager
son
quotidien,
choquait
les
cousins
parisiens
aux
idées
avancées
mais
aux
façons
maniérées.
Elle
a
sans
doute
influencé
la
manière
d’être
d’Arthur
et
de
ses
frères
et
sœurs,
en
leur
inculquant
en
sous-couche
une
sorte
de
conservatisme
envahi
de
compassion
sur
laquelle
la
vie
de
chacun
gravera
ses
propres
développements.
Après
avoir
été
reçu
aux
deux
baccalauréats,
Arthur
Fontaine
fut
admis
en
classe
préparatoires.et
fut
reçu
5ème
à
l’école polytechnique
en 1880. La scolarité dura deux ans.
Sorti
2ème
sur
205
èléves
il
intégra
ainsi
en
deuxième
position l’éc
ole des mines.en 1882.
A
sa
sortie
de
l’école
des
mines
il
fut
nommé
en
tant
qu’ingénier à Bethune.de 1886 à 1891.
LES ESCUDIER
Un rentier
Arthur
Fontaine
savait
qu’il
devrait
le
moment
venu
achever
son
parcours
social
initial
en
prenant
femme
dans
son
milieu,
la
bonne
bourgeoisie
catholique,
selon
les
règles,
convenablement.
Peut-être
d’ailleurs
se
serait-il
déjà
marié
s’il
ne
s’était
pas
exilé
à
Arras.
Mais
les
choses
se
précipitèrent
avec
la
mort
de
sa
mère
en
1887.
Ce
décès
eut
trois
conséquences
:
il
le
remplit
de
tristesse,
lui
permit
de
toucher
sa
part
complète
d’héritage
et
l’incita
à
trouver
rapidement
une
épouse.
Mme
Fontaine
laissait
à
ses
enfants
en
pleine
propriété
918
000
F
environ
augmentés
de
180
000
F
dont
ils
avaient
déjà
la
nue-propriété,
soit
plus
d’un
million
de
francs,
et
la
propriété
de
Mercin
léguée
en
indivision
dont
elle
avait
racheté
la
part
de
son
frère
.
Cette
succession
s’ajoutait
à
celle
de
leur
père
dont
ils
avaient
bénéficiée
à
leur
majorité
respective.
De
la
succession
maternelle,
des
biens
d’une
valeur
de
183
000
F
environ
revenaient
donc
à
Fontaine,
plus
1/6
de
Mercin
en
indivision,
qui
venaient
s’ajouter
au
capital
hérité
de
son
père.
Au
total
sa
fortune
à
27
ans
dépassait
les
250
000
F.
Le
patrimoine
familial
se
trouvait
maintenant
redistribué
entre
les
six
enfants,
mais
on
veilla
à
préserver,
dans
la
mesure
du
possible,
son
unité
en
associant
plus
ou
moins
les
quatre
frères
par
des
biens
détenus
en
commun
en
une
sorte
de
frèrèche
nordiste.
Observons
rapidement
le
détail
du
patrimoine
de
Fontaine
.
Il
détenait
principalement
en
indivision
avec
ses
frères
et
sœurs
un
sixième
de
biens
immobiliers
qui
témoignaient
de
l’évolution
du
patrimoine
des
deux
branches
de
cette
famille
bourgeoise
durant
une
bonne
partie
du
XIXème
siècle,
des
origines
rurales
à
la
mutation
parisienne.
Ce
patrimoine
de
Fontaine
avait
plusieurs
caractéristiques.
Premièrement,
comme
ses
deux
sœurs,
Fontaine
n’avait
pas
reçu
de
parts
de
la
Société
Fontaine
qui
restait
aux
mains
des
seuls
frères
la
faisant
prospérer.
Il
en
avait
été
désintéressé
par
le
paquet
de
titres
obligataires.
Il
restait
cependant
lié
à
la
société
par
le
gros
loyer
qu’elle
versait
aux
Fontaine
propriétaires
de
l’immeuble
de
son
siège.
Deuxièmement,
son
patrimoine,
composé
principalement
de
valeurs
obligataires,
était
celui
d’un
rentier
prudent,
une
sorte
d’actionnaire
dormant
de
ce
groupe
financier
immense
des
capitaux
mutualisés
par
l’ensemble
de
la
bourgeoisie
française.
La
troisième
caractéristique,
déjà
relevée,
était
l’imbrication
extrême
d’une
part
importante de ses intérêts avec ceux de ses cinq frères et sœurs.
L’alliance
Fontaine
appartenait
à
l’un
des
corps
les
plus
prestigieux
de
l’État
et
à
une
famille
de
la
bonne
bourgeoisie
des
plus
convenables
;
à
vingt
huit
ans
en
1888,
il
disposait
déjà,
chose
rare
à
cet
âge,
d’un
sixième
de
la
fortune
familiale
:
c’était
un
parti
enviable.
Il
rencontra
à
Paris
une
jeune
femme,
Marie
Escudier,
âgée
de
23
ans.
Marie
était,
elle
aussi,
issue
d’une
famille
de
la
bonne
bourgeoisie
catholique
parisienne,
ce
qui
ne
devait
rien
au
hasard.
Son
père,
Philippe
Escudier,
était
un
gros
rentier
de
62
ans
qui
avait
hérité
de
plus
d’un
million
de
francs
en
1883
lors
du
partage
de
la
succession
de
sa
mère
entre
lui
et
ses
frères.
La
mère
de
Marie,
Caroline
Gratien,
bonne
catholique
âgée
de
55
ans,
était
elle-même
fortunée,
disposant
des
loyers
de
cinq
immeubles
parisiens.
Ils
habitaient
un
hôtel
particulier
qu’ils
s’étaient
fait
construire
dans
le
8e
arr.
rue
Monceau
et
avaient
une
propriété
près
des
Andelys.
Marie,
née
en
1865,
était
la
cadette
de
six
enfants.
Alphonse
Escudier
était
son
aîné
de
douze
ans
;
venaient
ensuite
Madeleine,
Paul,
Georges
et
Jeanne
de
trois
ans
plus
âgée
.
Paul
Escudier
était
avocat
depuis
1881
;
il
s’intéressait
beaucoup
à
la
politique
ainsi
qu’à
l’art
et
à
la
littérature.
Il
deviendra
bientôt
un
homme
politique
parisien
important,
ami
d’Eugène
Rouart
et
d’
André
Gide,
ainsi
qu’une
relation
de
Barrès,
Philippe
Berthelot,
Bonnard
et
Rodin
.
Marie
était
très
liée
à
ses
deux
sœurs
Madeleine
et
Jeanne,
moins
à
ses
frères.
Mme
Escudier
avait
marié
ses
deux
premières
filles
à
deux
fils
de
la
bonne
bourgeoisie
catholique
parisienne
:
Madeleine
avec
un
artiste
bourgeois
en
vogue,
Henry
Lerolle
(1828-1925),
membre
d’une
famille
que
les
Escudier
fréquentait
depuis
le
mariage
du
frère
de
Philippe
Escudier,
Pierre
Étienne,
avec
Céline
Lerolle,
une
cousine
de
Henry
;
Jeanne
avec
un
riche
rentier
compositeur
:
Ernest
Chausson
(1855-1899),
issu
d’une
famille
de
gros
industriels
catholiques.
Il
restait
à
marier
la
dernière.
On
ne
connaît
plus
les
circonstances
de
cette
rencontre.
Elle
dut
se
faire
par
relations,
unies
à
la
fois
par
le
statut
social,
la
religion
et
un
goût
des
arts
et
de
la
littérature,
comme
la
rencontre
de
Jeanne
avec
Chausson
quelques
années
plus
tôt
que
Maurice
Denis
nous
a
décrite
:
«
Alfred
Lenoir,
le
sculpteur
qu’il
connaissait
par
son
ami
Besnard,
avait
présenté
le
jeune
musicien
à
Jeanne
chez
madame
de
Rayssac
»,
où
fréquentaient
des
personnalités
catholiques
diverses,
notamment
le
peintre
Odilon
Redon.
Ce
ne
fut
en
tout
cas
pas
le
fruit
du
hasard,
d’autant
que l’un était en poste à Arras. La mère Escudier dut multiplier pendant des mois les circonstances favorables à la rencontre d’un prétendant.
À
cette
époque,
les
jeunes
filles
célibataires
de
bonne
famille
ne
recevaient
pas
l’argent
de
poche
que
les
parents
réservaient
aux
garçons
pour
leur
apprendre
l’autonomie,
l’initiative
et
la
prudence.
Les
mères
se
chargeaient
des
frais
occasionnés
par
la
vie
de
leurs
filles
et
orientaient
ainsi
leurs
occupations.
Elle
veilla
donc
à
montrer
sa
fille
en
société,
en
la
présentant
dans
le
monde
et
aux
réceptions
organisées
par
ses
deux
beaux-frères,
où
elle
chantait
avec
l’une
de
ses
sœurs
tandis
que
la
troisième
les
accompagnait
au
piano.
Cette
chasse
au
fiancé
commença
dès
1886
avec
l’inscription
de
sa
fille
à
la
Société
nationale
de
musique
(
Fondée
le
25
février
1871
par
Romain
Bussine
et
Camille
Saint-Saëns)
.
«
La
Nationale
»
constituait
un
cercle
mixte
(une
caractéristique
rare
à
l’époque)
de
340
membres
(dont
140
femmes
)
de
l’élite
musicale
parisienne,
dont
le
beau-frère
Chausson
était
un
membre
dirigeant.
En
1888,
elle
avait
été
introduite
dans
le
monde
depuis
plus
d’un
an,
or
l’usage
voulait
dans
la
bonne
société
qu’une
jeune
fille
fut
mariée
dans
l’année
de
son
introduction.
Le
parti
étant
fort
appréciable
presque
sous
tous
rapports,
les
prétendants
n’avaient
pourtant
pas
dû
manquer.
Il
y
eut
donc
des
difficultés.
En
tout
cas,
l’affaire
avec
Arthur
fut
rapidement
conclue,
d’autant
qu’étant
à
Arras,
il
ne
pouvait
pas
«
faire
sa
cour
»
dans
les
formes
en
rendant
visite
à
sa
promise
tous
les
jours
chez
sa
mère
en
présence
de
celle-ci
ou
d’une
sœur.
Ils
n’eurent
ni
le
temps
ni
les
moyens
de
se
connaître,
d’autant
que
Marie
n’était
pas
bavarde
et
n’aimait
pas
plus
écrire
que
converser,
à
la
différence
de
ses
sœurs.
Du
reste,
il
convenait
alors
que
la
fiancée
restât
un
peu
silencieuse
et
mystérieuse
pour
susciter
le
manque
et
l’idéalisation
chez
le
fiancé,
et
par
là
son
désir
inassouvi
et
contenu.
Un
malheur
frappa
la
famille
Escudier
peut
avant
le
mariage
:
Marie
perdit
son
jeune
frère
Georges
subitement,
d’une
embolie
foudroyante,
alors
qu’elle
était
avec
sa
mère,
Jeanne
et
son
mari,
à
Biarritz,
une
station
en
vogue
dans
la
bonne
bourgeoisie
conservatrice,
qu’affectionnait
la
famille.
Les
deux
mariés
et
leurs
deux
familles
étaient
donc en deuil lors du mariage qui se célébra dans une grande discrétion.
Pendant
la
période
des
fiançailles,
les
deux
familles
parlèrent
dot
et
contrat
de
mariage,
Arthur
étant
représenté
par
son
frère
aîné.
Le
passage
devant
le
notaire,
moment
essentiel
du
mariage
bourgeois,
eut
lieu
le
jour
de
la
Saint
Valentin
1889
.
Les
époux
se
marièrent
sous
le
régime
de
la
communauté
de
biens,
comme
il
était
d’usage.
L’époux
apportait
1/6e
de
divers
immeubles
détenus
par
les
Fontaine
pour
une
valeur
de
194000
F,
et
un
gros
paquet
de
titres
sûrs,
pour
une
valeur
totale
dépassant
les
250
000
F.
La
famille
de
la
future
épouse
apportait
à
la
communauté
divers
biens
d’une
valeur
estimée
à
135
000
F
par
le
fisc.
Cet
apport
se
composait
essentiellement
de
titres
sûrs
.
Il
était
bien
entendu
inférieur
à
celui
de
l’époux,
mais
supérieur
à
la
partie
qu’il
apportait
en
titres
divers
lui
appartenant
en
propre.
Ces
biens
apportés
de
part
et
d’autre
étaient
exclus
de
la
communauté
en
cas
de
séparation
et
demeuraient
à
chacun
d’eux.
S’ajoutait
la
dot
de
la
future
épouse,
qui,
quant
à
elle,
se
composait
d’un
trousseau
d’une
valeur
estimée
à
10
000
F
et
de
110
000
F
en
liquide
:
un
montant
appréciable,
puisque
placé
à
3
%,
il
rapporterait
à
lui
tout
seul
3300
F
(
soit,
par
exemple,
de
quoi
payer
les
gages
de
cinq
domestiques).
La
dot
et
la
part
de
la
mariée
dans
la
communauté
équivalait
ensemble
grosso
modo
à
la
part
du
marié.
Ce
contrat
était
équilibré.
Le
mariage
scellait
bien
l’alliance
de
deux
familles
de
la
bonne
bourgeoisie,
d’autant
plus
attentives
à
la
qualité
des
alliances
que
leurs
descendances
nombreuses
émiettaient
les
deux
patrimoines.
Un
traité
du
milieu
du
siècle
estimait
que
«
le
mariage
est
en
général
un
moyen
d’accroître
son
crédit,
sa
fortune
et
d’assurer
ses
succès
dans
le
monde
»
.
Ce
mariage
en
était
une
parfaite
illustration.
De
ce
point
de
vue
utilitaire,
cette
alliance
cumulait
les
avantages.
Grâce
à
elle,
le
jeune
ingénieur
d’État
fortuné
se
mettait
à
l’abri
de
la
tentation
du
pantouflage
en
mettant
la
main
sur
une
dot
appréciable
et
en
s’adossant
à
une
famille
aussi
fortunée
que
la
sienne
.
Cela
lui
assurait
plus
de
liberté,
de
capacité
d’initiatives
et
de
possibilité
de
prises
de
risque
dans
sa
carrière
administrative.
Il
pourrait,
si
besoin,
s’émanciper
un
jour
d’une
carrière
lente
et
ennuyeuse
dans
les
services
du
contrôle
des
mines
en
essayant
un
retour
à
Paris
d’une
manière
ou
d’une
autre.
Dans
l’immédiat,
il
améliorait
son
train
de
vie
et
lui
permettait
de
fonder
une famille.
Le
lendemain
du
mariage
civil
à
la
mairie
du
8e
arr.,
le
mariage
religieux
eut
lieu
à
l’église
Saint-Augustin,
la
paroisse
de
la
rue
Monceau,
le
mardi
19
février.
Les
témoins
de
l’orphelin
étaient
Duporcq,
son
supérieur
d’Arras,
ingénieur
en
chef
des
mines,
qui
représentait
le
corps,
sa
seconde
famille,
et
Henri,
son
frère
aîné.
Aux
côtés
d’un
cousin,
le
deuxième
témoin
de
la
mariée
était
son
beau-frère
Henry
Lerolle,
le
plus
digne représentant de la famille en tant qu’artiste bourgeois renommé.
MARIE
Chanter et broder
La
domesticité
(«
nourrices
sur
place
»
et
«
bonnes
d’enfant
»)
s’occupait
des
enfants
à
Paris,
à
Mercin
ou
en
villégiature.
Les
journées
de
Marie,
beaucoup
plus
courtes
que
celles
de
son
mari,
se
passaient
essentiellement
à
broder,
chanter,
visiter
des
parents
et
amies,
recevoir
un
après-midi
par
semaine,
tenir
avec
discrétion
sa
place
à
table
et
au
salon
aux
côtés
de
son
mari
qui
recevait
continuellement
des
amis.
Elle
savait
excellemment
broder.
Elle
achetait
des
cartons
difficiles
et
passait
des
heures
à
broder
des
ouvrages
qu’elle
offrait
à
des
œuvres,
aux
amies
et
aux
femmes
de
la
famille
.
Le
peintre
M.
Denis
lui
dessina
un
carton
fleuri
qu’elle
s’empressa
de
reproduire
en
chemin
de
table.
Ce
faisant,
elle
se
conformait
à
une
image
que
la
famille
et
la
bonne
société
souhaitaient
lui
voir
donner,
comme
le
relevaient
les
artistes
et
les
amis.
Ainsi le poète F. Jammes, parlant d’un portrait de Marie par O. Redon
:
«
L’extraordinaire
ressemblance
persiste
à
travers
le
choix
d’une
seule
expression
qui
les
dit
toutes.
Et
il
se
trouve
que
cette
expression
est,
de
Madame
Fontaine,
celle
que
je
préfère
et
celle
que,
de
jour
en
jour,
je
préférerai.
Cette
grave
attitude
du
travail
familial,
cette
réflexion
muette
de
sa
pensée
sur
le
miroir
de
son
ouvrage,
ce
calme
qui
dit
la
méditation
sereine
du
nid
que
vous
lui
avez
construit, tout cela sait émouvoir la tendresse… »
Sa
deuxième
grande
occupation
était
le
chant.
Marie
avait
une
belle
voix
de
soprano
dramatique
et
elle
avait
appris
le
solfège
comme
ses
deux
sœurs.
Elle
passait
des
heures
à
répéter
des
airs
de
Schumann,
son
compositeur
favori,
de
Chausson,
de
Raymond
Bonheur
et
de
Wagner
,
seule
ou
avec
Jeanne
qui
chantait
également.
Elle
les
interprétait
ensuite
devant
des
parents
ou
des
amis.
Les
traces
de
l’exercice
de
cet
art
sont
nombreuses.
Elle
interpréta
en
avril
1890
dans
le
salon
«
modéré
»
des
Labo
des
chants
de
Chausson
.
En
1892,
ce
dernier,
trouvant
ses
choristes
trop
médiocres,
leur
préféra
Marie
et
Jeanne
pour
chanter
à
la
première
représentation
de
La
légende
de
Sainte-Cécile
donnée
le
30
janvier
au
Petit
Théâtre
de
marionnettes
de
la
rue
Vivienne.
En
1894,
elle
se
fit
l’interprète
de
passages
d’Arthur
de
Chausson,
accompagnée
au
piano
par
son
beau-frère.
En
1898,
au
repos
dans
le
Béarn
avec
Madeleine
et
les
petits,
elle
s’acharnait
sur
des
partitions
de
Wagner.
Elle
chanta
à
Biarritz
devant
le
peintre
O.
Redon,
à
Orthez
devant
F.
Jammes.
Elle
interpréta
en
public
avec
Jeanne
et
Mme
Storm
la
messe
à
trois
voix
de
Chausson
en
compagnie
des
religieuses
du
couvent
des
Dames
Augustines
de
Versailles
répondant
avec
le
plain-
chant
qu’elles
avaient
l’habitude
de
chanter
dans
la
tradition
de
l’art
musical
religieux
français
des
17e
et
18e
siècles,
en
l’honneur
de
Mme
de
Rayssac,
la
marraine
du
compositeur,
qui
s’était
retirée
là.
La
même
année,
elle
donna
une
interprétation,
devant
les
membres
de
l’Union
pour
l’action
morale
de
Desjardins
et
Fontaine,
de
deux
Études
pour
Tristan
de
Wagner
et
de
Sur
une
tombe
de
Guillaume
Le
Ken.
Cette
même
année
encore,
elle
joua
chez
les
Lerolle
un
acte
d’Orphée
avec
«
la
petite
famille
»
qui
faisait
un
modeste
chœur.
«
Cette
musique
[vint]
avec
douceur
et
charme
»
mettre
fin
à
une
discussion
animée
sur
l’innocence
de
Dreyfus
menée
par
le
dreyfusard
Bérard.
L’année
suivante,
elle
chanta
«
J’allais
à
Lourdes
»,
poème
de
F.
Jammes
mis
en
musique
par
R.
Bonheur,
puis,
un
autre
jour,
des
airs
d’Iphigénie
à
Aulis
de
Gluck,
en
intermède
de
l’Iphigénie
de
Racine
lue
par
P.
Desjardins
et
d’autres
de
ses
relations,
devant
un
public
réuni
par
l’Union
populaire
du
faubourg
Saint-Antoine.
Elle
fera
profiter
encore
plusieurs
fois
de
son
talent
cette
union
populaire
en
1900
et
1901.
En
novembre
1899,
elle
offrit
après
déjeuner
sur
des
mélodies
de
R.
Bonheur
divers
poèmes
de
Francis.
Jammes
et
d’Albert
Samain
qui,
présent,
en
fut
ému
:
«
Mme
Fontaine
a
chanté
tout
cela
avec
un
sentiment
si
pénétrant,
une
expression
si
sincère
et
profonde
!
Après
qu’elle
a
eu
chanté
les
dernières
notes
de
Lourdes,
je
me
suis
levé,
tout
fébrile,
et
n’ai
pu
m’empêcher
de
lui
serrer
les
mains.
[…]
et
je
me
sentais
insensiblement
venir
les
larmes
aux
yeux
…»
Elle
interpréta
encore
de
F.
Jammes
«
Quand
verrai-je
les
îles
?
»,
«
Le
village
à
midi
»,
«
La
maison
serait
vieille
»
et
le
célèbre
«
La
vallée
d’Alméria
»,
le
tout
deux
fois
à
la
demande
de
Samain,
bouleversé
par
la
poésie
de
son
ami
chantée
merveilleusement
par
Marie
a
capella.
Si
le
paraître
de
Marie
était
pour
son
mari
un
facteur
de
relations
avec
les
peintres
modernes,
sa
voix
lui
permettait
de
se
rapprocher
des
musiciens
et
des
poètes.
Le temps des grossesses et des accouchements
Sa
fonction
sociale
principale,
était
tout
de
même
avant
tout
d’avoir
des
enfants,
puis
de
superviser
leurs
soins
et
leur
éducation,
avec
une
attention
rapprochée
les
premières
années
et
lors
de
leurs
maladies.
Arthur
et
elle,
issus
de
familles
pratiquantes
prolifiques,
eurent
à
leur
tour
une
famille
nombreuse.
Six
enfants
arrivèrent
régulièrement
de
façon
rapprochée.
Ce
fut
une
période
physiquement
éprouvante
pour
Marie
qui
allait
de
début
de
grossesse
en
accouchement
chez
sa
mère.
Elle
fut
enceinte
peu
après
son
mariage
de
son
premier
enfant,
Jean-Arthur,
qui
naquît
la
même
année
en
décembre
plaine
Monceau.
Il
faillit
mourir
dans
les
jours
qui
suivirent
et
dut
être
«
ondoyé
»
avec
la
permission
de
S.É.
le
cardinal
archevêque
de
Paris
.
Quelques
mois
plus
tard,
elle
tomba
enceinte
à
nouveau.
Philippe
naquît
en
février
1891.
Un
an
après
naissait
Charlotte,
puis
Jacqueline
l’année
suivante.
Fontaine
et
Marie
auraient
voulu
s’arrêter
là
:
quatre
enfants
dont
deux
garçons
et
deux
filles.
Mais
Charlotte
qui
décèdera
à
six
ans
en
1898,
était
une
enfant
semble-t-il
anormale
qui
disparut
totalement
dès
sa
naissance
de
l’environnement
familial
et
dont
l’existence
fut
l’objet
d’un
pesant
silence.
Après
un
an
d’hésitations,
on
décida
d’avoir
une
autre
fille
que
l’on
appellerait
Anne-Marie
,
comme
pour
remplacer
Charlotte
encore
en
vie.
Mais
ce
fut
un
garçon,
né
fin
décembre
1895,
que
l’on
appela,
non
Denys
comme
prévu
dans
un
premier
temps,
mais
Noël
pour
la
circonstance.
On
tenta
à
nouveau
d’avoir
une
fille,
mais
ce
fut
encore
en
1897
un
fils.
Ils
n’avaient
pas
prévu
de
prénom
de
garçon,
comme
pour
forcer
le
destin.
Ils
l’appelèrent
finalement
Denys,
le
prénom
prévu initialement pour Noël. Ils s’arrêtèrent
là.
Une
période
de
la
vie
du
couple
s’achevait
ainsi,
celle
des
rapports,
des
grossesses
à
répétition
et
des
accouchements
chez
la
mère
plaine
Monceau.
«
C’est
beaucoup
et
surtout
un
peu
trop
rapproché,
mais
je
tâche
d’avoir
de
la
patience
»,
confiait-elle
à
Mme
M.
Denis
en
1896
.
Une
période
fractionnée
de
temps
de
repos
prolongés
avant
et
après
les
accouchements,
passés
chez
sa
mère,
puis
à
Mercin
avec
les
enfants,
la
nourrice,
les
sœurs
et
belles-sœurs
de
passage.
Une
période
de
maternités,
«
la
grande
œuvre
féminine
»,
donc
de
reconnaissance
familiale
et
sociale
pour
Marie.
Une
période
de
sexualité
conjugale,
sans
doute
insatisfaisante
comme
il
était
d’usage
dans
ce
milieu
,
mais
donnant
du
sens
et
de
la
valeur
à
son
existence
par
les
grossesses
et
les
accouchements,
en
la
plaçant
fréquemment
au
centre
des
préoccupations
de son mari, de sa mère, de la famille et des amis.
Le point du jour (1)
ou l’histoire de la famille Fontaine à Mercin
Extrait de :
de Michel Cointepas et
avec son aimable autorisation qu’il en soit
remercié.
-
-
-
La
Société
Fontaine
n’existe
plus
aujourd’hui,
mais
la
marque
appartient
à
un
groupe
industriel
qui
a
su
préserver
la
mémoire
artistique
de
l’entreprise
en
présentant,
dans
l’ancien
siège
de
la
Société
rue
de
Rivoli
transformé
en
«
musée
Fontaine
»,
l’ensemble
des
pièces
de
serrurerie
que
l’on
peut
toujours
commander.
http://www.decofontaine-paris.com/fr/depuis-1740.html
Où
l’un
des
descendants
y
tient
toujours
une
exploitation agricole
Poignée de tirage
Maillol
Entre 1890 et 1893, Camille Claudel séjourne plusieurs
fois au château de L’Islette près d’Azay-le-Rideau.
En 1892, Madeleine Boyer, la petite-fille de la propriétaire
du domaine, posa soixante-deux heures pour ce buste
dont il existe deux versions.La Petite Châtelaine de
Roubaix, la plus aboutie, fut commandée en 1895 à
l’artiste, sur la recommandation de Bourdelle, par
l’industriel Henri Fontaine
Marie Fontaine par Edouard Vuillard
Maternité à Mercin par Maurice Denis
(En arrière plan “le point du jour”)